« Si un individu s’expose avec sincérité, tout le monde, plus ou moins, se trouve mis en jeu. Impossible de faire la lumière sur sa vie sans éclairer, ici ou là, celles des autres »
Simone de Beauvoir – La force de l’âge
« L’information est le seul bien qu’on puisse donner à quelqu’un sans s'en déposséder. »
Thomas Jefferson,
l’un des rédacteurs de la Déclaration d'Indépendance des États-Unis,

De l'esprit des lois (1748)

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Charles de Secondat, baron de Montesquieu

29 septembre 2005

8/ Niki de Saint-Phalle, témoigner pour prévenir par Questions d’inceste

Page 223
Ce n'est que « cinquante ans après » qu'elle a décidé de révéler Mon Secret, en forme de lettre à sa fille Laura :
J'ai écrit ce livre d'abord pour moi-même, pour tenter de me délivrer enfin de ce drame qui a joué un rôle si déterminant dans ma vie. Je suis une rescapée de la mort, j'avais besoin de laisser la petite fille en moi parler enfin. Mon texte est le cri désespéré de la petite fille.
…/…
Un après-midi, son père décide d'aller chercher une canne à pêche dans une cabane, au jardin, elle part avec lui.
Subitement, les mains de mon père commencèrent à explorer mon corps d'une manière tout à fait nouvelle pour moi. Honte, plaisir, angoisse et peur me serraient la poitrine. Mon père me dit : ne bouge pas. J'obéis comme une automate. Puis avec violence et coups de pied, je me dégageais de lui et courus jusqu'à l'épuisement dans le champ d'herbe coupée. Il y eut plusieurs scènes de ce genre ce même été. Mon père avait sur moi le terrible pouvoir de l'adulte sur l'enfant. J'avais beau me débattre, il était plus fort que moi.
Après ce récit de l'acte incestueux, Niki aborde dans cette lettre les questions qui se sont posées pour elle, questions que pose chaque enfant abusé. « Mon amour pour lui se transforma en mépris : il avait brisé en moi la confiance en l'être humain. » Pensait-il ainsi montrer son amour à Niki ? Croyait-il « honorer » sa fille? Voulait-il satisfaire son plaisir ? « Ce n'est pas simple », souligne-t-elle. En effet, il avait la possibilité de le trouver ailleurs, bien que l'adulte puisse éprouver une jouissance particulière avec un enfant (« over », écrit-elle, soit plus littéralement sur ou par-dessus un enfant).
…/…
Mon père est devenu objet de haine, déclare Niki. Le monde m'avait montré son hypocrisie : j'avais compris que tout ce qu'on m'enseignait était faux. Il fallait me reconstruire en dehors du contexte familial, au-delà de la société.
Tel est le dilemme : elle sentait qu'elle devrait ou pourrait le faire hors de sa famille, mais que signifierait cette rupture par rapport au lien familial ? Ce lien qui l'avait construite et avait fait d'elle une jeune fille charmante et jusqu'alors bien insérée dans la société ? Au-delà de la société ? Exilée ? C'est précisément la question à laquelle nous sommes confrontés avec les jeunes filles accueillies à la MAJB, mais « désinsérées » de leur milieu familial.
Puisque je n'étais pas encore parvenue à extérioriser ma rage, mon corps devint la cible de mon désir de vengeance.
…/…
L'agressivité qui était en moi commençait à sortir. Je me mis à faire passer la violence dans mon œuvre.
Elle n'échappera pas à un séjour en clinique psychiatrique. Peu après en être sortie, elle reçoit une lettre de son père, pris par le remords : « Tu te rappelles certainement que lorsque tu avais onze ans, j'ai essayé de faire de toi ma maîtresse ? » À ce moment-là, elle n'en avait plus souvenir : façon de se protéger contre une « vérité insupportable » comme elle semble l'affirmer? Seules les images d'un père élégant, séduisant les amies de sa mère, voire les bonnes, lui restaient en mémoire. Niki a pourtant connu la psychiatrie avant que son père ne fasse resurgir le souvenir, indice qu'il n'était, sans doute, pas assez bien enfoui.
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Autres billets sur Niki de Saint-Phalle
1/ Niki de Saint-Phalle : Mon secret
2/ Mon secret de Niki de Saint-Phalle réédité
4/ Autoportrait
5/ L'interdit
6/ Forme de pardon

7/ Les traces du viol dans l'œuvre de Niki de Saint-Phalle Par Rennie Yotova
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22 septembre 2005

Pédophilie : Démonter la rumeur sur Jack Lang dans l'Express

22/09/2005
Jack et la calomnie
A part Dominique Baudis, aucun homme politique n'a tant subi de calomnies sur ses mœurs que Jack Lang.
En janvier 1995, dans la rivalité au PS pour la présidentielle, des jospinistes font courir la rumeur. «Je me souviens d'une réunion place des Vosges où il était effondré, témoigne un proche. Il a dit :
« Là, je n'en peux plus. De telles ignominies ! » « On m'a traité alors de pédophile, raconte Lang, parfaitement lucide sur ces ragots. C'était immonde. J'ai trouvé les deux personnages qui racontaient cela. Le premier a fait amende honorable. Le second, je ne lui parle plus. »
« Je sais qu'il pense cela, répond ce dernier, qui fut ensuite conseiller de Jospin à Matignon. Il se trompe, je n'ai jamais rien dit. »

Pour lire la suite de l'article, cliquez sur le logo de L'Express.fr
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Autres billets sur l'affaire du ministre pédophile
28/05/2011 Le Figaro Magazine ; À Marrakech, un ex-ministre « s'amuse »
30 mai 2011 – Canal + – Luc Ferry affirme qu'un ancien ministre français "s'est fait poisser à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons"
Etrange éditorial de Laurent Joffrin dans le Nouvel observateur : pas un mot sur les enfants victimes de pédophilie
Quand la France protège les pédophiles par Jean-Pierre Mocky

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17 septembre 2005

17/ Le devenir des pères agresseurs en prison par Questions d'inceste

Page 203
La prison est un lieu qui génère ses propres codes et ses valeurs. Ceux qui ne respectent pas cette loi interne et ne défendent pas les valeurs du prisonnier seront mis à l'écart et punis par les autres. Ce sont en premier lieu les accusés de crimes de mœurs et particulièrement ceux qui ont agressé des enfants. Désignés comme « pointeurs », les pères incestueux et les pédophiles sont confondus pour servir de boucs émissaires à toute la violence inhérente au système pénitentiaire. Ils subissent de la part des codé-tenus, souvent avec l'aval de certains surveillants, les pires brimades physiques et morales.
Ce fonctionnement oblige ces détenus, pour se protéger, à s'isoler, à se cacher et à masquer à eux-mêmes et aux autres la raison de leur incarcération. On assiste alors à une inversion de leur culpabilité en une victimisation qui occulte les paramètres psycho-pathologiques qui les ont conduits au passage à l'acte sexuel sur l'enfant. S'ils veulent échapper aux coups, aux insultes, aux crachats, ils doivent jouer le jeu et mentir sans cesse sur les motifs de leur incarcération. Mensonge qui, peu à peu, s'installe comme une néoréalité peu propice à un travail psychothérapique sur eux-mêmes.
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Autres billets sur le livre Questions d'inceste
1/ Questions d'inceste de G. Raimbault, P. Ayoun, L. Messardier
2/ L'inceste séducteur, le père avec la fille
3/ La pianiste de Michael Haneke
4/ L’inceste avec violence, le viol incestueux
5/ Une conception réductrice de l'inceste
6/ La rupture du lien de filiation
7/ Les réactions au traumatisme
8/ La sidération et l'impossibilité de dire
9/ Ces mères qui n'ont pas réussi, ou pas voulu, ou pas su éviter l'inceste
10/ L'identité désorganisée des pères séducteurs
11/ Pourquoi les incestueurs en appellent-ils à l’insatisfaction conjugale ?
12/ L'interprétation du consentement par l’incestueur
13/ L'atteinte narcissique et la culpabilité pour la mère
14/ La valeur de la sanction pour l'agresseur et la victime
15/ La tragédie grecque et la littérature
16/ L'autonomisation
18/ Le pardon
19/ Anaïs Nin, un inceste choisi
20/ Deux sœurs dans les viols par inceste
21/ La recherche de sens – La valeur de l'écrit
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16 septembre 2005

16/ L'autonomisation par Questions d'inceste

Page 162

L'objectif d'autonomiser l'enfant pour l'amener à faire des choix responsables et éclairés est encore plus difficile à définir et à mettre en place. Il répond à une représentation humaniste de la responsabilité qui est outil et gage de la liberté. L'existentialisme est un humanisme, disait Sartre, et l'homme est condamné à la liberté. La transcription psychopathologique de ce concept philosophique, c'est l'accès à la différenciation et à la reconnaissance des limites qui tracent les contours de l'identité. Il n'y a pas de liberté sans intériorisation du principe de réalité de la séparation et de la différence. Entre le dedans et le dehors, ce n'est pas pareil, le soi et le non-soi, ce n'est pas la même chose. L'autonomisation, c'est se défaire de l'emprise non seulement de l'autre en tant que personne physique, mais aussi de tout ce qui est de l'ordre de l'idéalisation qui s'oppose au réel, qui le dissimule, le transforme, le travestit, par peur de l'abandon. c'est cette peur-là qui pousse l'homme au crime pour s'approprier ce qui fait son manque, qui le pousse au vol, au viol, à l'homicide. C'est la peur du manque, la peur d'être dépossédé, anéanti, de se retrouver tout nu comme un nourrisson privé de sa mère. Les crimes pathologiques, dictés par des hallucinations impérieuses, délirantes, sont les paradigmes de cette peur qui pousse à se défendre jusqu'à en perdre la raison dans le meurtre. Les malades assassins disent clairement qu'ils n'ont fait que se protéger pour survivre. L'autonomisation, c'est prendre la distance nécessaire pour ne plus avoir peur de son manque, c'est l'avoir reconnu, circonscrit, analysé et compris. La peur perd alors de sa force et de sa dangerosité. Pour les jeunes filles victimes d'inceste, l'autonomisation, c'est ne plus être l'otage du traumatisme.
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Autres billets sur le livre
Questions d'inceste
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10/ L'identité désorganisée des pères séducteurs
11/ Pourquoi les incestueurs en appellent-ils à l’insatisfaction conjugale ?
12/ L'interprétation du consentement par l’incestueur

13/ L'atteinte narcissique et la culpabilité pour la mère
14/ La valeur de la sanction pour l'agresseur et la victime
15/ La tragédie grecque et la littérature
17/ Le devenir des pères agresseurs en prison
18/ Le pardon
19/ Anaïs Nin, un inceste choisi
21/ La recherche de sens – La valeur de l'écrit
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20/ Deux sœurs dans les viols par inceste dans Questions d'inceste

Page 254
La liberté de s'identifier comme femme, indépendamment du trauma dépend en grande partie des assises narcissiques présentes dès le départ chez la jeune fille, gages de ses ressources internes capables ou non de l'amener à cicatriser les blessures du traumatisme.
L'histoire clinique de ces deux sœurs permet de voir l'importance de l'identification au féminin et au maternel pour sortir ou non du trauma. Caro et Béa sont toutes deux d'anciennes victimes de violences sexuelles du père. Très unies et soudées pendant l'enfance et l'adolescence, elles vont se séparer et se fâcher à l'occasion de leurs maternités pour suivre des chemins radicalement différents.
Pour Caro, l'aînée, l'accès au maternel lui permettra de quitter la délinquance et la prostitution pour se consacrer durablement à l'éducation de ses deux enfants, loin des errances du passé, alors que pour Béa, sa cadette, ce passage du statut de victime à celui de femme puis à celui de mère sera impossible.
Caro a pu s'en sortir grâce à une adultisation précoce qui, dès sa petite enfance, l'avait mise en position maternelle pour protéger et sa petite sœur et sa mère de la folie du père, alors que sa cadette, abusée avec barbarie par le père, n'a pu réussir à s'identifier à autre chose qu'à la fonction qu'il lui avait attribuée : être son objet sexuel. Objet sexuel du père, objet ignoré par la mère, objet protégé par sa grande sœur, elle deviendra à l'adolescence objet maltraité par les hommes dans la prostitution, incapable comme sa sœur aînée d'accéder à un nouveau statut de femme libre capable de refuser la soumission sexiste et de s'investir positivement dans sa dignité de femme libre.
Son corps ne lui appartient pas comme un élément constitutif de sa valeur humaine. Il n'est qu'un outil au service d'une fonction qui prend toute la place et qui lui sert d'identité. L'enfant qu'elle porte en elle ne sera aussi qu'un avatar de ses aventures sexuelles sans amour, qu'un objet qu'elle déposera chez sa grande sœur jusqu'à son mariage trois ans plus tard avec un homme en tout point identique à son père. Et quand cet homme exigera que la petite fille de 5 ans participe à leurs ébats sexuels, elle n'y verra rien de plus, que la continuation de ce qu'elle a toujours vécu. Sa fille est comme elle, soumise sans condition au plaisir de l'homme. Elle ne l'offre pas à son mari comme un objet différencié, elle continue simplement de s'offrir elle-même à travers sa fille. Elle se donne à lui avec sa duplication. Elle n'est plus un objet unique, mais elle s'est scindée en deux et c'est la réunion des deux qui participe à l'inceste du beau-père.
Le trauma de l'inceste a bloqué son développement psycho affectif au stade où elle était encore victime du père. Elle n'a pu décoller de ce statut et continuera d'être cette fille tout juste bonne à satisfaire la libido des mâles.
Sa grande sœur, en prenant dès le départ la place maternelle laissée vacante par la vraie mère absente, ne lui a pas permis de s'appuyer sur un lien de solidarité fraternelle et, pour la défendre, a concouru à ce qu'elle demeure toujours une enfant à protéger comme si elle ne pouvait être autre chose que cette victime.
Le traumatisme a eu chez Béa un effet de sidération bloquant ses investissements libidinaux sur la répétition masochiste des conduites victimaires.
Le bébé qu'elle a fait, elle l'aime d'un amour éperdu, mais sans véritable préoccpation maternelle. Elle l'aime comme la plus jolie de ses poupées mais elle est incapable d'intérioriser ses besoins et son identité propres de sujet humain en devenir, différent d'elle et en même temps dépendant de ses soins. Elle ne peut l'investir que comme un objet identique à elle-même, indifférencié de sa propre identité de victime éternelle à disposition du plaisir des autres.
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Autres billets sur le livre Questions d'inceste
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21/ La recherche de sens – La valeur de l'écrit
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14 septembre 2005

14/ La valeur de la sanction pour l'agresseur et la victime par Questions d’inceste

Page 148
La sanction n'a de valeur thérapeutique ni pour le père ni pour l'enfant, comme une certaine presse ou certaines expertises psychiatriques voudraient le laisser croire. C'est une peine infligée à un coupable donnant à l'enfant la reconnaissance de son statut de victime et l'une des réponses qui l'aideront à s'engager dans la voie de la cicatrisation de ses blessures. Si elle n'est pas un soin, elle peut avoir un effet bénéfique pour aider le sujet meurtri à se reconstruire. Cette sanction peut être vécue comme injuste ou inutile par certaines victimes.
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13 septembre 2005

13/ L'atteinte narcissique et la culpabilité pour la mère par Questions d’inceste

Page 121

La dénonciation représente une atteinte narcissique inimaginable pour la mère. Dénoncer, c'est étaler au grand jour l'intimité d'un fonctionnement familial qui se doit par essence de rester intime et privé. Le déballement public de l'inceste signe l'échec de sa relation conjugale et maternelle, comme si elle était prise en flagrant délit d'incapacité de satisfaire son mari qui lui a préféré sa fille et de protéger son enfant. Dans les deux cas il y a la marque infamante d'une culpabilité qui atteint et blesse profondément son image.

Cela renvoie chez ces mères à la nature et à la qualité de leur narcissisme primaire, seule assise psychologique capable de leur permettre d'aller au-delà de leur honte pour sauver leur fille. S'il a été défaillant et n'a pas permis l'accès à une identification féminine et maternelle « suffisamment bonne », il ne leur permettra pas de s'oublier pour se mettre au service de l'enfant, fût-ce au prix du sacrifice de leur image. Dénoncer, c'est en quelque sorte s'accuser et du coup perdre toute estime de soi. Privées au départ d'une bonne image intériorisée d'elles-mêmes, elles ont un besoin farouche, vital de la retrouver dans le regard de l'autre. Ne se reconnaissant pas de valeur interne, elles ne peuvent la trouver qu'à l'extérieur, dans la confiance de l'autre. Il ne saurait donc être question qu'elles donnent l'occasion de se faire mal voir, ce qui entraînerait leur effondrement dans la honte et la dépression.

La résistance à la découverte de la réalité de l'inceste et à sa dénonciation procède de cette tentative désespérée de survie et de maintien d'un narcissisme de façade qui se craquelle et contient mal les angoisses que ces mères sentent resurgir comme de nouvelles menaces d'anéantissement.

L'intériorisation de la souffrance de l'enfant est-elle pour autant totalement absente ? La honte du narcissisme blessé empêche-t-elle toute réelle culpabilité ? Nous ne le pensons pas. Il est simplement question d'un subtil équilibre instable entre l'intérêt de son image et celui de sa fille. La faille initiale se traduit par une inhibition anxieuse, un laisser-faire et une attente désespérée et infantile pour qu'un autre le fasse à sa place. Cette difficulté à dénoncer est à l'image de l'infantilisme du père séducteur qui a conscience de l'anormalité et de la gravité de ses actes mais qui ne peut s'empêcher de les commettre et qui attend qu'une autorité supérieure vienne l'arrêter.

La victime semble l'avoir compris. Est-ce alors pour protéger sa mère ou au contraire parce qu'elle la méprise et la juge incapable de la croire et de la protéger qu'elle révèle l'inceste à une autre? Ou est-ce la honte et la culpabilité de parler de ça avec elle qui la poussent à dévoiler à l'extérieur ce secret de famille ? Nous sommes là dans cette problématique de la honte, de la culpabilité, de la confiance, du narcissisme blessé et chaque cas est alors singulier dans la façon dont il se traitera, privilégiant telle ou telle inclination selon des lignes de force structurellement déjà établies et toujours différentes les unes des autres.

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12 septembre 2005

12/ L'interprétation du consentement par l’incestueur dans Question d'inceste

Page 100

Le déni d'altérité est manifeste aussi dans ce qu'on peut appeler le « délire d'interprétation du consentement », avec la conviction absolue, inébranlable, sincère que la victime était consentante, qu'il n'y a pas eu de violence, qu'il n'y a eu que de l'amour et de la tendresse partagée… « Si elle avait protesté, je me serais arrêté immédiatement. » Il s'agit là d'une croyance pathologique qu'on retrouve de façon quasi permanente. Elle témoigne d'une incapacité structurelle à se représenter l'autre comme différent avec l'impossibilité d'intérioriser ce que la victime a pu ressentir de particulier et de propre à elle. L'hypothèse d'une terreur de l'enfant avec effroi et sidération empêchant toute réaction de défense est aussitôt rejetée et interprétée comme la confirmation de l'incommunicabilité de leurs sentiments.

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11 septembre 2005

11/ Pourquoi les incestueurs en appellent-ils à l’insatisfaction conjugale ?

Page 99

La première doléance de ces pères concerne leur insatisfaction conjugale. S'ils revendiquent une hétérosexualité banale, ils réduisent leur épouse à sa fonction maternelle et lui reprochent de ne pas être une assez bonne mère, autant pour l'enfant que pour eux-mêmes… « Pas assez tendre, pas assez attentive, chaleureuse… » La mauvaise entente conjugale les rapproche de l'enfant, « victime » comme eux des « insuffisances » maternelles et s'appuie sur la certitude intuitive qu'ils en sont tous deux victimes. Cette identification projective issue des blessures du narcissisme primaire engendre avec l'enfant un vécu de complicité magique, de complétude inconnue jusque-là et abolit le lien de parenté. L'enfant devient l'objet qui permet au père de se retrouver et de se prouver qu'il a une valeur. Cette valeur ne lui a jamais été reconnue jusque-là.

Faille initiale de son existence, elle l'a bloqué à un stade de développement prégénital. À la différence de l'épouse, sa fille le rassure. L'idéalisation de leur relation dans un néocouple parfaitement pur, désexualisé et merveilleux, s'entretient du mélange des sexes, des générations et de la confusion entre le paternel et le maternel, le masculin et le féminin.

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10 septembre 2005

10/ L'identité désorganisée des pères séducteurs par Questions d'inceste

Page 97

Les antécédents de trauma

Une grande majorité de ces sujets a été victime d'agressions dans leur propre enfance : maltraitances sexuelles ou autres carences éducatives et affectives vécues comme des fatalités sur lesquelles ils n'ont pas eu de prise. La plupart n'ont pas fait le lien entre ces premiers traumatismes et l'agression qu'ils commettront plus tard. Il n'y a pas eu de mentalisation de ces traumas, pas de travail de deuil et de cicatrisation, mais une béance identitaire qui s'est ouverte, laissant la place à toutes les répétitions des déviances ultérieures.

Le clivage

L'idéalisation de la relation à l'enfant n'empêche pas la culpabilité de l'inceste et un vécu d'insécurité permanente lié à la peur du dévoilement. Même si l'anormalité de sa relation à sa fille n'est qu'une représentation fugitive, la charge d'angoisse qui y est liée reste mal contenue par le rationalisme morbide de « la tendresse et de la complicité ». Tous les remparts qu'il met en place, il les sait fragiles et incertains. L'impossibilité de s'en libérer fait partie de la nature même de sa pathologie identitaire et autorise à s'interroger sur la fonction de l'inceste comme barrage contre l'effondrement narcissique, ou comme défense contre la dépression anaclitique. L'enfant a fonction d'étayage narcissique et l'acte sexuel est toujours un risque de le voir disparaître, risque qui en rajoute dans son attraction et survalorise les rapprochements incestueux.

La culpabilité

li ne s'agit pourtant pas de sujets psychotiques et la gravité du trouble identitaire ne les exonère pas du réel. Malgré la répétition des actes incestueux, ces pères restent conscients de leur anormalité et de la faute qu'ils commettent. De quelle culpabilité s'agit-il alors pour qu'elle soit si peu opérante ? Cette culpabilité ne paraît fonctionner que dans le seul registre existant chez ces sujets, celui du narcissisme. La culpabilité n'est pas d'avoir fait mal à l'enfant, mais de s'être fait mal à soi-même, d'avoir altéré sa propre image, de pouvoir être assimilé à un pédophile ou à un délinquant sexuel.

Leur fonctionnement infantile se retrouve enfin dans leur rapport à la justice. Tous savaient que l'inceste ne pouvait pas durer et qu'ils finiraient par se faire arrêter. Incapables d'y mettre eux-mêmes un terme, ils attendaient confusément qu'un tiers vienne le faire à leur place, d'où le soulagement provoqué par l'arrestation. L'incarcération vient les déresponsabiliser de l'obligation morale de cesser les relations sexuelles avec leur fille.

Le narcissisme

Dans ce type d'inceste, on ne retrouve pas d'autres scénarios sexuels pervers. La vie fantasmatique est très pauvre. La fluidité associative demeure très limitée sans la moindre fantaisie ou exubérance. Dans ce « désert psychique », il semble qu'il n'y ait pas eu d'accès à une suffisante estime et confiance de soi pour reconnaître des limites à son désir. Même si celui-ci n'est pas de « coucher avec » mais de retrouver son sentiment de complétude, il suppose un minimum d'amour de soi pour ne pas l'imposer à l'autre dans l'acte d'agression. Cette bonne image d'eux-mêmes semble bien avoir toujours fait défaut à ces pères. Ils ont d'eux une représentation à la fois grandiose et totalement dévalorisée qui les oblige à l'étayage anaclitique de l'inceste. Il n'y a qu'avec leur fille qu'ils se retrouvent. Le champ psychothérapique ne s'ouvre que sur des doléances de type infantile, sur la mauvaise mère et surtout le mauvais père qu'ils ont eus. Mal aimés, ils s'aiment mal et placent cet impossible amour au centre de leurs préoccupations. La thérapie de ces sujets déviants devra alors passer par un lent travail de reconstruction narcissique pour sortir de la confusion et accéder à la reconnaissance des limites.

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Autres billets sur le livre Questions d'inceste

1/ Questions d'inceste de G. Raimbault, P. Ayoun, L. Messardier
2/ L'inceste séducteur, le père avec la fille
3/ La pianiste de Michael Haneke
4/ L’inceste avec violence, le viol incestueux
5/ Une conception réductrice de l'inceste
6/ La rupture du lien de filiation
7/ Les réactions au traumatisme
8/ La sidération et l'impossibilité de dire
9/ Ces mères qui n'ont pas réussi, ou pas voulu, ou pas su éviter l'inceste
11/ Pourquoi les incestueurs en appellent-ils à l’insatisfaction conjugale ?

12/ L'interprétation du consentement par l’incestueur

13/ L'atteinte narcissique et la culpabilité pour la mère
14/ La valeur de la sanction pour l'agresseur et la victime
15/ La tragédie grecque et la littérature
16/ L'autonomisation
17/ Le devenir des pères agresseurs en prison

18/ Le pardon
19/ Anaïs Nin, un inceste choisi
20/ Deux sœurs dans les viols par inceste
21/ La recherche de sens – La valeur de l'écrit
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9 septembre 2005

9/ Ces mères qui n'ont pas réussi, ou pas voulu, ou pas su éviter l'inceste par Question d'inceste

Page 83
Ces mères qui n'ont pas réussi, ou pas voulu, ou pas su éviter l'inceste, subissent, de la même manière que leur fille, avec la même révolte infantile qui permet de déplacer sur les professionnels toutes les haines et les rancœurs accumulées jusque-là.
Ce refus de parole au médecin s'inscrit dans la continuité d'un manque de parole bien antérieur et qui a marqué leurs relations familiales depuis plusieurs générations.

Venir parler les « saoule » parce qu'elles vont être « obligées de répéter encore une fois les mêmes choses ». Il y a dans cette formule – « être obligée de répéter » – toute la problématique de la place de la parole dans leur vie, comme s'il suffisait de dire une fois les choses, comme s'il y avait même besoin de les dire. On ne parle pas des choses qui fâchent. Quand on a été élevé dans les coups, dans l'absence de mots et dans la confusion, on ne perçoit pas les avantages du discours et du « parler vrai ». Alors venir parler pour dire quoi ? Pour répéter quoi ? Ce vécu d'« injonction à la répétition » n'est que la continuité de l'impossibilité d'investir une parole subjectivante, ouvrant à une réelle communication. Ces mères défaillantes se vivent comme sans valeur. Leurs émotions, leurs sentiments, leurs désirs, leurs craintes, elles n'en ont jamais parlé alors, faute de mots, cela reste confus dans leur tête et cette confusion imprègne tout le système familial grâce à l'échange de quelques informations factuelles nécessaires pour ne pas sombrer dans le chaos total. Parler de soi est presque indécent, comme si le soi se résumait à une enveloppe physique vide de tout intérieur. Parler, c'est bien pour dire des choses pratiques, mais pas pour exposer son intimité qui, de toute façon, faute des mots nécessaires pour l'exprimer, n'est qu'un amalgame disparate de vécus réactionnels sans ordre et sans direction. L'inceste est le fruit de cette désorganisation de la pensée qui ne s'est pas donné ou n'a pas reçu les mots pour définir son identité. La confusion de la pensée entraîne celle des mœurs du système familial. Il n'y a que la loi du désir immédiat et égoïste qui prévaut, en dehors de tout respect de l'autre et de toute limite. Ce sont bien sûr alors les plus faibles qui souffriront, les femmes et les filles. Le discours ne peut être qu'au service d'une manipulation et d'une instrumentalisation de l'autre. L'incapacité de parler de soi apparaît comme la marque d'un interdit primaire, un manque de sécurité narcissique primitif qui ne permet pas de s'engager dans un véritable échange. Ce trouble rend impossible l'investissement du discours de l'enfant qui à son tour ne l'investira pas comme moyen d'expression.

L'incrédulité des mères au dévoilement de l'inceste procède en partie de ce manque d'investissement et de croyance dans les vertus de la parole. Dire des choses qui relèvent de l'intimité la plus secrète ne se fait pas, car ces mots-là sont tabous. Dans ces familles au conformisme absolu autour de la pudeur de l'intime, le dévoilement de l'inceste a un côté irréel et scandaleux. C'est une transgression du code du langage et de l'honneur qui suscite aussitôt un réflexe d'incrédulité et d'hostilité devant cette menace de remise en question fondamentale de la famille, ce qui est impensable.

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2/ L'inceste séducteur, le père avec la fille
3/ La pianiste de Michael Haneke
4/ L’inceste avec violence, le viol incestueux
5/ Une conception réductrice de l'inceste
6/ La rupture du lien de filiation
7/ Les réactions au traumatisme
8/ La sidération et l'impossibilité de dire
10/ L'identité désorganisée des pères séducteurs
11/ Pourquoi les incestueurs en appellent-ils à l’insatisfaction conjugale ?
12/ L'interprétation du consentement par l’incestueur

13/ L'atteinte narcissique et la culpabilité pour la mère
14/ La valeur de la sanction pour l'agresseur et la victime
15/ La tragédie grecque et la littérature
16/ L'autonomisation
17/ Le devenir des pères agresseurs en prison

18/ Le pardon
19/ Anaïs Nin, un inceste choisi
20/ Deux sœurs dans les viols par inceste
21/ La recherche de sens – La valeur de l'écrit
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