« Si un individu s’expose avec sincérité, tout le monde, plus ou moins, se trouve mis en jeu. Impossible de faire la lumière sur sa vie sans éclairer, ici ou là, celles des autres »
Simone de Beauvoir – La force de l’âge
« L’information est le seul bien qu’on puisse donner à quelqu’un sans s'en déposséder. »
Thomas Jefferson,
l’un des rédacteurs de la Déclaration d'Indépendance des États-Unis,

De l'esprit des lois (1748)

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Charles de Secondat, baron de Montesquieu

8 août 2009

Hanif Kureishi : Quelque chose à te dire


15 octobre 2008

Hanif Kureishi, c’est celui qu’on attend au tournant, tout le temps, en Angleterre surtout. Comme si on ne pardonnait pas au scénariste (My beautiful Laundrette, Samie et Rosie s’envoient en l’air…), au réalisateur (London kills me) d’avoir eu un succès tel qu’il porta très tôt très vite le romancier (Le Bouddha de banlieue, Black album, Des bleus à l’amour, Intimité…). Alors « ils » le guettent à chaque apparition dans le secret espoir de le voir glisser. Londres n’a rien à envier à Paris. Cette fois, avec Quelque chose à te dire (Something to tell you, traduit de l’anglais par Florence Cabaret, 569 pages, 23 euros, Christian Bourgois), cet auteur si désespéré17097.1224059351.jpgment doué s’en prend à l’âge. Le sien. Au dur désir de durer. On est tous le vieux d’un autre mais très peu savent le dire.

Un bon roman, un roman réussi, nous parle de nous. Il se trouve qu’Hanif Kureishi avait non seulement quelque chose à dire mais quelque chose à nous dire de nous-même. On ne saurait mieux combler son lecteur qu’en l’invitant à se pencher sur sa jeunesse pour en tirer les leçons avec un léger recul, ce pas de côté qu’autorise la cinquantaine. Jamal Khan, le héros est un psychanalyste londonien d’origine anglo-pakistanaise, de cette génération à mi-chemin. Plus si jeune et pas si vieux. Sa femme est partie, et la femme de son meilleur ami aussi. Lui est resté avec son fils de 12 ans et sa gouvernante. Toute la journée, il écoute les autres allongés sur son divan et prend des notes. Mais lui, qui l’entend ? Penché à sa fenêtre pour y explorer ses propres ténèbres, il fait resurgir son grand amour de jeunesse avec ses fantômes, l’un surtout, refoulé implacablement depuis tant d’années : le père de son amie, qu’il avait tué parce qu’il abusait d’elle. Un geste accidentel qu’une vie entière ne suffit pas à pulvériser. Deux amis complices du crime surgissent longtemps après dans son champ de vision et la culpabilité qui le minait souterrainement revient l’envahir à nouveau. Un détail suffit à faire basculer une vie.

Si le secrétaire est l’homme des secrets, le psychanalyste est l’absolu secrétaire de notre misérable tas de secrets. Le seul à pouvoir écrire notre biographie, mais à l’encre sympathique. Pour un romancier de la vie quotidienne, un tel personnage est un cadeau. Comme un commissaire de police pour un auteur de polar. Il est celui qui s’insinue partout et pose toutes les questions sans que cela paraisse artificiel ou abusif. Il a tous les droits. Celui de Kureishi mettra 569 pages à comprendre que son patient et lui sont, de part et d’autre du divan, danstiff_06_hanif-kureishi.1224059325.jpg la même situation. A égalité. Non pas l’un vis-à-vis de l’autre mais les deux face à leur destin : « L’un comme l’autre, nous attendons que l’étranger tapi en lui prenne la parole ». Mais entre temps, tout au long de ces quarante huit chapitres tout de subtilité, d’émotion et de sensibilité, à travers l’Angleterre des années 70, sa littérature, sa musique, ses chansons, son communautarisme, ses pakis, sa dame de fer et ses hommes de paille, ce romancier parmi les plus attachants de ces anciens jeunes gens en colère issus de l’Empire, nous aura promenés dans la toile d’araignée de ses propres contradictions avec une souveraine maîtrise. Ses personnages secondaires sont si fouillés qu’ils viennent défier le héros en intérêt : son ex-femme bien sûr, mais aussi d’autres, plus inattendus, tel ce Lord Ali, pair, musulman et gay, qui débarque à mi-parcours.

La sœur de Kureishi s’est reconnue et elle a écrit aux journaux pour se plaindre, ce qui n’est pas surprenant car pour ses précédents romans, son père, sa mère et son oncle Omar s’étaient également plaints de sa paresse d’imagination. Hanif Kureishi est vraiment là à son meilleur ; il renoue après quelques flottements avec la veine du Bouddha de banlieue. Et puis quoi, comment ne pourrait-on pas céder au charme d’un psychanalyste qui devient supporter à vie de Manchester United parce qu’Eric Cantona est en cure chez un lacanien et qu’il recommande la lecture de Groddeck le dingue ? On succombe.

( “Kureishi par Sarah Lee et Optix)

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